C’est ainsi dans la continuité de la loi de la transformation de la fonction publique, que les attaques contre le statut se poursuivent sous le prisme de la refonte totale de la rémunération et des carrières dans la Fonction Publique qui seraient basées sur des process devenus archaïques.
Ainsi, répondant à la commande gouvernementale passée lors de la conférence sur les perspectives salariales, initiée le 21 septembre 2021, Paul Peny, le directeur des ressources humaines de la Caisse des dépôts et ancien directeur général de l’administration et de la fonction publique, et Jean-Dominique Simonpoli, le fondateur de l’association Dialogues, ont remis leur rapport à la ministre de la transformation et de la fonction publiques le 14 mars dernier.
Ce rapport intervient juste après l’annonce d’une revalorisation du point d’indice (cf notre article sur cette question https://solidairesfinancespubliques.org/vie-des-agents/carriere/remuneration/4719-hausse-du-point-d-indice-une-annonce-electorale.html). Si cette annonce n’a encore rien de concret, se dessine déjà la contrepartie qui sera exigée par le Gouvernement en cas de réélection du candidat Macron.
En effet, sur la base du rapport Peny et Simonpoli, la ministre Amélie de Montchalin souhaite ouvrir une négociation courant 2022. Cela reste bien entendu subordonné aux résultats de l’élection présidentielle et des élections législatives, cependant, il y a fort à parier que ce rapport ne restera pas lettre morte et sera repris par tous les tenants du libéralisme et du moins d’État qui arriveraient au pouvoir.
Concrètement, ce rapport se décline en 2 parties, l’une dresse des constats et l’autre porte des perspectives d’évolution de la rémunération des fonctionnaires.
Il s’articule autour de 4 thèmes :
- l’attractivité de la Fonction publique ;
- l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
- les carrières et les rémunérations ;
- la question des contractuels.
Au cœur de la démarche, la sempiternelle comparaison entre le secteur public et le secteur privé. Là encore, revenir aux fondamentaux sur les raisons de ces différences en termes de rémunérations et de carrières est nécessaire, et il ne faut jamais perdre de vue que notre rémunération est liée à notre statut, lui-même lié au fait que nous exerçons des missions d’intérêt général au service des citoyens et citoyennes !
Sur les constats, il faut rappeler que la Ministre avait tenté d’associer les organisations syndicales qui se sont rapidement rendu compte qu’il s’agissait plutôt de donner caution au Gouvernement sur les perspectives qu’il entend mettre en œuvre et qui ne reflètent pas les attentes des agentes et des agents. Surtout qu’aucun dégel du point d’indice n’était sur la table à ce moment-là. C’est pourquoi, FO, CGT, FSU et Solidaires avaient décidé de quitter la conférence salariale avant son terme (cf. communiqué de l’intersyndicale).
Le rapport relève que l’attractivité de la Fonction publique dépend de plusieurs facteurs, comme la localisation géographique, les conditions de travail et la concurrence plus ou moins forte exercée par le secteur privé sur des emplois de même type. Il relève tout de même que si la rémunération n’est pas le seul facteur de la perte d’attractivité de la Fonction publique, il en constitue néanmoins un des éléments clé. Cela plaiderait donc en faveur d’une revalorisation globale de la rémunération et des carrières dans l’ensemble de leurs composantes...
Sur ce point, le rapport ressort les mêmes rengaines, selon lesquelles notre système de carrière et de rémunération serait trop complexe et qu’il faut donc absolument le simplifier !
Sont encore et toujours faites des comparaisons avec le secteur privé et les autres pays de l’OCDE. C’est une logique d’harmonisation qui prévaut avec les louanges de PPCR, mais aussi du RIFSEEP (Régime Indemnitaire tenant compte des Fonctions, des Sujétions, de l’Expertise et de l’Engagement Professionnel) qui, selon le rapport, ne va pas assez loin dans la logique du mérite et de la performance avec sa part variable de la rémunération en fonction des résultats obtenus et de l’expertise qui reste insuffisante.
Il faut ici rappeler que ce dispositif n’a pas été appliqué à la DGFiP et que la marche sera d’autant plus grande si ce projet encore plus offensif voyait le jour.
A noter, dans le RIFSEEP, l’ensemble des primes actuelles seraient converties en IFSE (Indeminité tenant compte des Fonctions, des Sujétions et de l’Expertise) et une part de notre rémunération serait variable avec le CIA (Complément Indemnitaire Annuel). Aujourd’hui, cette part variable de la rémunération est de moins de 10 % dans la Fonction publique et repose souvent sur des critères prédéfinis, regrettent les rédacteurs.
Le rapport dresse le constat des inégalités salariales dans la Fonction publique entre femmes et hommes. Pour une fois, la Fonction publique est meilleure que le secteur privé mais sommes-nous pour autant exemplaires en la matière ? Non ! Les inégalités dans la Fonction publique sont relatées et documentées, elles sont notamment liées au temps de travail, aux carrières entrecoupées, à la nature des emplois occupés, etc. Le rapport souligne aussi des avancées en saluant la mise en place d’outils pour répondre à la question des inégalités femme/homme, tout en reconnaissant la persistance de celles-ci.
Solidaires Finances Publiques dénonce depuis la mise en place d’obligations légales et des plans d’égalité en tout genre, le peu de moyens et d’actions concrètes mises en œuvre sur cet item, avec notamment la non application des pénalités prévues par la loi par exemple.
En outre, il suffit de constater la politique de la DGFiP en la matière, qui aura peut-être enfin alloué des moyens budgétaires et humains pour décliner le plan égalité professionnelle avant la fin 2022 qui est aussi la date d’échéance du plan !
Enfin, le recours aux contractuels dans la Fonction publique s’est accru avec de nouvelles possibilités offertes par la loi de transformation de la Fonction Publique, il existe différents types de contrats de durée variable et autant de rémunérations différentes qu’il existe d’employeurs publics différents, même si le dispositif de rémunération est encadré par la loi. Oui, parce que devinez quoi, il existe une multitude de dérogations possibles… Par ailleurs, ces personnels ont peu de perspectives de carrière qui s’offrent à eux...
Avant d’essayer de synthétiser les préconisations qui sont faites, il convient de dire que, si ont participé plusieurs interlocuteurs, comme certaines organisations syndicales (CFDT, UNSA, FA-FP, CFE-CGC, CFTC) et autres représentants des employeurs publics pour élaborer la partie constat (et quand-même quelques pistes de réflexion) de ce rapport, ce n’est pas le cas pour la partie des perspectives « complémentaires » qui ne reflète que le point de vue des auteurs.
Ce rapport fait donc des préconisations en termes de rémunération :
- pour répondre aux problèmes d’attractivité de la Fonction publique,
Les rédacteurs proposent d’introduire des facteurs de différenciation (métiers en concurrence avec le privé, métiers en tension, métiers nécessitant des compétences particulières) et pour répondre au problème d’attractivité des territoires, une valorisation des agentes et des agents qui acceptent d’y travailler. Vous l’aurez compris, si vous n’êtes pas affectés sur ce type de métier, votre rémunération ainsi que votre carrière en pâtiront !
À ce titre, parmi les pistes évoquées, revoir le zonage de l’Indemnité de Résidence, cibler des recrutements à un niveau infra régional sur des métiers et territoires en tension, mettre en place des lignes directrices sur la rémunération des contractuels, etc. Quand on sait ce que contiennent les lignes directrices de gestion mobilité ou parcours professionnel, ça ne rassure pas, bien au contraire.
Dans la même logique, il est proposé de développer la « marque employeur » du service public lancée en février : « choisir le service public ». C’est purement et simplement une stratégie de communication destinée à promouvoir l’image de marque de la Fonction publique, liée à sa politique de gestion RH, de recrutement et de rémunération.
- en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes,
Il est proposé de communiquer à grande échelle envers les femmes sur les métiers peu féminisés, de favoriser la mixité des viviers dans le recrutement et de passer d’une logique de moyens à une logique de résultats. Déjà qu’on avait des outils sans beaucoup de moyens, effectivement, il serait temps d’avoir des résultats en la matière !
Il est question, afin d’impliquer tous les agent·es d’une organisation, de mettre en place un levier spécifique d’abondement de la rémunération visant à reconnaître l’engagement de tout le collectif de travail au service de l’égalité professionnelle, s’agissant tout particulièrement des parcours et des rémunérations.
Il est noté l’importance d’observer et d’approfondir les comportements pouvant générer des écarts de traitement même implicites, et de la transparence lors de la phase de recrutement et dans les dispositifs de promotions et d’avancements.
Le rapport fait état de pistes pour lutter contre les stéréotypes de genre dans la présentation des métiers, comme ne pas genrer les offres d’emplois afin de permettre aux femmes de s’identifier et de postuler sur des emplois traditionnellement masculinisés mais à plus forte rémunération par exemple.
Ce sont là quelques éléments du rapport mais qui restent très flous et qui en l’état ne permettront pas d’obtenir des résultats concrets ! N’est-ce pas l’intention qui compte ? Ben NON !
- sur les contractuels, en proposant d’aller « vers des dispositifs apportant plus de garanties et de possibilités de parcours aux contractuels, en tenant compte de la diversité des profils. »
Le rapport propose de tendre vers une rémunération équivalente pour les contractuels exerçant les mêmes fonctions et disposant de compétences équivalentes à celles des titulaires.
Pour les plus précaires d’entre elles et eux et afin de garantir leur pouvoir d’achat, il est question de revoir le système de réévaluation de la rémunération et de proposer des contrats multi -employeurs afin de remédier au temps de travail incomplet imposé par certains métiers et favorisant des rémunérations plus faibles notamment dans la Fonction publique territoriale.
Il propose également de mettre en place des parcours de carrière et de leur permettre une mobilité choisie, en particulier pour les personnels en CDI.
- sur la refonte des carrières et rémunérations, en vue de mettre en place un « système à la fois plus dynamique et plus équitable, reposant sur des garanties socles et des accélérateurs »
Le rapport réaffirme le cadre statutaire de la rémunération, articulé entre des corps et des grades, avec comme aujourd’hui une distinction entre le grade et l’emploi.
Alors là, heureusement que c’est écrit, car en filigrane, à la lecture de ce qui qui suit, on s’aperçoit que la confusion entre le grade et l’emploi n’est pas loin, avec notamment l’idée d’intégrer dans les grilles des indices différents en fonction des métiers exercés… Et oui !
Dans la continuité de ce qui a été entamé avec le RIFSEEP et comme le permet la loi de la transformation de la fonction publique, la rémunération comprendrait une part principale ou « fixe », l’actuel traitement indiciaire complété de toutes les primes correspondant actuellement à la technicité, à la nature du métier exercé, aux responsabilités et aux compétences au moyen d’une sorte de transfert primes-points. La seconde partie de la rémunération serait variable en fonction des résultats et de l’engagement professionnel. Elle prendrait progressivement « une place accrue pour jouer pleinement son rôle de levier managérial ». Il n’est pas dit quelle part de la rémunération serait consacrée à la partie variable... Le pendant de cela serait le « développement d’une culture solide de l’évaluation professionnelle » avec la fixation d’objectifs, etc. L’individualisation à tout crin...
La rémunération ne comprendrait plus qu’un traitement indiciaire et des primes liées à la performance donc plus de régime indemnitaire ! Qui dit indemnité dit compensation (pénibilités, contraintes spécifiques, frais engagés, etc), qui dit performance dit primes ! Et voilà le travail !
La rémunération comprendrait des garanties socles pour préserver le pouvoir d’achat et avoir une évolution tout au long de la vie professionnelle et ainsi éviter les effets de stagnation existants aujourd’hui. A ce stade, le rapport ne fait que poser des questions sur les modalités de mise en œuvre de ces garanties avec des pistes sur la valeur du point d’indice et une progression minimale au long de la carrière, l’idée étant de mieux couvrir son amplitude. Le rapport laisse déjà entendre qu’il s’agirait d’un avancement plus progressif que les avancements d’échelons actuels… Attractivité qu’ils ont dit mais ralentissement de la carrière et donc frein sur le chiffre en bas de la fiche de paie.
Il remet également en question toute progression automatique de la rémunération, l’ancienneté ne serait plus adaptée et seraient préférées des augmentations sous forme de pourcentage liées à l’expérience acquise !!!
Il est préconisé d’introduire des facteurs de différenciation pour bénéficier « d’accélérateurs ». Ceux-ci permettraient de mieux valoriser la diversité des parcours et de tenir compte de situations particulières.
A ce titre, le rapport n’exclut pas la discussion sur l’hypothèse d’une augmentation de la part principale indiciaire « au choix » en fonction de l’appréciation managériale.
Ces accélérateurs pourraient également servir à valoriser des choix de carrières et/ou certains parcours et compenser des inégalités.
Sur la question des grilles à proprement parler, il y a clairement une volonté de les harmoniser pour tendre à une unité sur les 3 versants de la Fonction publique.
Enfin, la rémunération à la performance collective serait accrue mais selon quels critères ? Il s’agirait de reconnaître financièrement l’engagement collectif des personnels d’une administration ou d’un service qui auraient atteint des objectifs quantitatifs, qualitatifs sur le service rendu aux usagers, d’efficience ou interne à une structure…
Le fil rouge de ce rapport est de toujours alerter sur la soutenabilité budgétaire des mesures qui seraient prises…
Autrement dit, comme à chaque fois, il ne faudra pas que cette refonte coûte trop cher à l’État-Employeur !
Pour conclure, ce rapport porte en lui les germes d’une refonte totale de la rémunération et de la carrière des fonctionnaires et certaines des préconisations faites ne peuvent que nous alerter quant à la préservation de notre statut qui n’admet pas la notion de performance !
L’enjeu est donc d’abord de nous mobiliser pour voir concrétiser de manière immédiate l’annonce de la Ministre de revalorisation du point d’indice !
Plus que jamais, exigeons notre dû !
Ensuite, en fonction des résultats de l’élection présidentielle, il nous faudra batailler avec Solidaires Fonction Publique lors de la négociation qui s’ouvrira pour préserver nos droits en termes de carrière et de rémunération et en conquérir de nouveaux !